Lecture de la rentrée – Chroniques du Futur RH&M 2014] De la confiance en l’avenir
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J’ai le plaisir de présenter depuis 2014 des chroniques du futur dans le revue RH&M. Ces chroniques ont été dédiées en 2014, à l’exploration des contours de la Grande Transition à travers nos attitudes face au changement : les zones aveugles, la simplexité, la worldview et la confiance en l’avenir.
Vous pouvez retrouver, en cette rentrée les deux dernières chroniques du futures 2014 sous la forme d’article LinkedIn. Ci-après la quatrième et dernière chronique du Futur 2014.
De la confiance en l’avenir – Ou la présence des éléphants noirs
Pour franchir la Transition, nous avons besoin de simplexité face à la complexité croissante, de sens face à l’apparente incohérence, de récits pour changer de paradigme. Mais aussi —surtout— d’une nouvelle confiance en l’avenir.
L’ampleur de la Transition qui nous entoure interpelle notre capacité à changer (Chroniques n°2, n°53). Changer de regard sur le monde pour nous forger des interprétations plus proches de la réalité actuelle (Chroniques n°3, n°54). Changer de regard sur nous-mêmes pour affronter notre peur du changement (Chroniques n°1, n°52). Mais il nous faut, aussi, changer d’état d’esprit vis-à-vis du futur.
Business as usual
Le microcosme français — moins de 1% de la population mondiale— semble s’être enfermé dans une vision de l’avenir blasée, si étroite qu’elle en fige la dynamique même. L’avenir ne serait ainsi plus qu’un éternel recommencement, «more of the same» (plus de la même chose) ou «business as usual» (tout comme d’habitude). La préservation de nos acquis, l’enracinement dans l’histoire, la crispation sur des futilités sont autant de symptômes d’une société qui refuse de considérer le futur avec bienveillance.
Derrière cette peur manifeste du changement, se niche, profondément enfoui, un manque de confiance en l’avenir qui laisse perplexe. Car il nous renvoie en fait à un manque de confiance en nous-mêmes, nous, ce peuple français jugé si manifestement arrogant par les autres cultures. Est-ce parce que, sans l’intervention américaine, nous aurions perdu la Seconde Guerre Mondiale ? Mais les Britanniques aussi, et leur appétence pour l’avenir est demeurée intacte. Est-ce parce que l’existentialisme a si massivement supplanté l’humanisme ? Mais en Allemagne aussi, et leur avancée vers le futur est continue. Parce que nous serions Latins ? Les Italiens aussi, mais ils embrassent le futur. D’où vient alors cette frilosité d’une culture qui semble vouloir arrêter sa course évolutive vers l’avenir ?
Des éléphants noirs…
L’expression «éléphant noir» résulte de la conjonction de deux expressions anglo-saxonnes : «un éléphant est assis dans la pièce» —qui signifie que tout le monde voit l’éléphant mais fait comme s’il n’existait pas (the elephant sitting in the room)— et «un cygne noir» — qui désigne un événement extrêmement improbable mais à très fort impact (black swan). Elle qualifie un événement extrêmement probable, largement annoncé, mais que l’on choisit délibérément d’ignorer[1]. A l’inverse d’une zone aveugle (cf. Chroniques du futur n°1, n°52) qui nous empêche de voir ce qui existe, nous voyons bien l’éléphant noir, mais nous décidons de ne pas en tenir compte.
Parmi les exemples les plus frappants : l’éducation dont le contenu n’est plus adapté aux besoins actuels, le changement climatique qui devrait imposer de nouvelles pratiques, l’automatisation qui menace les «cols blancs»[2], la marchandisation de la monnaie qui a atteint ses limites. Mais rien ne change vraiment : on ignore les éléphants noirs assis au milieu de notre monde.
Cependant jamais la période n’a été aussi propice aux changements. Un monde en transition, tel que le nôtre, est riche en Volatilité, Uncertitude, Complexité et Ambiguïté (VUCA). Une telle fluidité, bien que chaotique, favorise les dynamiques de changement : les opportunités sont aussi nombreuses que les risques. Mais nous ne les voyons pas parce que, tel un gros nuage sombre, l’éléphant noir n’évoque que la menace d’un orage, et non la pluie bénéfique. On croise les doigts en attendant qu’il passe, espérant que le choc du changement aura lieu ailleurs, dans l’espace (autres pays) ou dans le temps (générations futures).
L’optimisme méthodologique
Il est temps de se resaisir. Déjà, outre-atlantique, le concept de «temps postnormaux» (postnormal times) a fait son apparition. Il pose que, pour nous frayer un chemin à travers la complexité (la situation en Syrie par ex.), le chaos (la crise financière mondiale résultant de celle des subprimes américaines) et les contradictions (telles que le développement générant une inégalité croissante entre riches et pauvres), nous devons donner non seulement du sens au monde qui nous entoure, mais un sens positif[3]. La carte devient nécessairement fausse dans un monde de plus en plus étrange[4] : seule la boussole compte, éthique, prospective, humaniste ; la boussole qui nous indique le cap à suivre.
De la littérature utopique nous ne retenons généralement que les dystopies, ces scénarios-catastrophes qui nous conduisent à l’enfer sur Terre, ou, plus radicalement aujourd’hui, à la disparition de l’espèce humaine. Nous serions fort avisés de faire plutôt porter les programmes scolaires de littérature sur les eutopies, ces lendemains qui chantent que nos technologies et nos savoirs mettent plus que jamais à notre portée… si nous voulons bien nous donner la peine de les construire, plutôt que de nous lamenter sur notre sort.
Revue RH&M, n°55, octobre 2014, pp. 20
[1] Vinay Gupta. «On Black Elephants.» April 27, 2009. http://vinay.howtolivewiki.com/blog/flu/on-black-elephants-1450
[2] GOUX-BAUDIMENT Fabienne, RAYNAUD-LACROZE Paul-Olivier, «Le DRH et le Robot», in Edgar ADDED et alii, DRH Le choc des ruptures, Paris : Manitoba/Les Belles Lettres, 2014, pp. 225-231.
[3] SARDAR Ziauddin, «Welcome in Postnormal Times», Futures, n°42, 2010, pp. 435–444
[4] «From Global Warming to Global Weirding with John SWEENEY», video, https://www.youtube.com/watch?v=T3rGcazAGHw .